Je ne suis pas de ceux qui constatent l’obscurité, je suis de ceux qui allument une bougie !
C’est un artiste modeste et chaleureux que nous avons rencontré à Morcenx.
L’homme élancé, à la moustache fine et discrète, s’est livré sans détours lors des deux rencontres organisées à Morcenx. En début d’après-midi, devant un parterre d’adolescents, notre écrivain rappeur a clamé haut et fort que « les mots ont sauvé sa vie en devenant le véhicule de son monde intérieur ». Il aurait pu mourir d’overdose ou finir en prison comme certains amis d’enfance, il s’est tourné vers l’art.
Originaire du Congo, enfant issu d’une famille nombreuse et élevé seul par sa mère, le jeune Régis a grandi dans un quartier difficile, une cité HLM de Strasbourg. C’est vers douze ans que notre artiste en herbe se sert de l’écriture comme d’une catharsis, en faisant sortir positivement la colère accumulée en lui. « Dans les cités, y’a une énergie qui ressemble à l’énergie nucléaire, comme je l’ai écrit dans La guerre des banlieues n’aura pas lieu, cette énergie peut pencher du bon ou du mauvais côté. Il faut arrêter de stigmatiser certaines catégories de personnes, en faire des citoyens de second rang. Nous sommes tous des français, qu’on soit catholique, musulman, juif, bouddhiste…
On peut transcender sa condition sociale et faire quelque chose de sa vie. Il faut se fédérer avec d’autres pour pouvoir avancer. Je ne suis pas de ceux qui constatent l’obscurité, je suis de ceux qui allument une bougie » !
La spiritualité rend humble, c’est avant tout une expérience d’amour.
Il devient Abd Al Malik, « serviteur de Dieu », lorsqu’il embrasse l’Islam. Il parle volontiers de ce côté intime de sa personne depuis les attentats du 11 septembre 2001 aux USA. Il tient à complexifier les discours à l’inverse de ceux simplistes dans les médias ou la bouche de certains politiques : « Il faut de la tenue intellectuelle et de la retenue émotionnelle pour construire une société toujours meilleure… La spiritualité rend humble, c’est avant tout une expérience d’amour, partager avec les gens, servir à quelque chose ». Tourné vers le soufisme, le rappeur mène une quête personnelle, prône le vivre ensemble en harmonie et la rencontre de l’autre comme évènement par excellence.
Il aime à parler d’universalité : « l’humanité est ce qu’on a en commun, la démarche devrait être ce qui nous assemble et pas ce qui nous divise. Il faut vivre dans un esprit républicain, un esprit de laïcité ». Il se dit patriote parce que « le patriotisme à l’inverse du nationalisme partage des valeurs universelles. Combien de penseurs merveilleux la France a connu et ont participé à son rayonnement international ». Il regrette l’appauvrissement actuel en la matière. Il préconise aux jeunes de rentrer dans les médias, la politique ou la justice pour changer les choses. « On est au début de quelque chose de mieux, il faut saisir l’opportunité. On n’est pas seul pour améliorer la société. La démocratie, c’est le pouvoir du peuple ».
Abd Al Malik avoue son admiration pour « les enseignants qui nous font croire en nous : tu es beau, tu peux faire quelques chose de ta vie ! ». Heureusement qu’au cours de sa scolarité il rencontré cette professeur qui l’a aidé, lui a fait comprendre la puissance des mots. Et aujourd’hui, rencontrer un public d’enfants c’est rendre un peu de ce qu’on lui a donné.
La difficulté des conditions de vie de notre enfance nous a rendu célèbres.
Enfant du rap, il s’est nourri des musiques de Big Daddy Kane, Nas, Jay-Z, Dead Prez, A Tribe Called Quest mais aussi de Miles Davis, Ahmad Jamal, John Coltrane, Maurice Ravel ou de groupes pop plus récents comme Vampire Weekend ou Grizzly Bear. Le rap est une musique issue du sample, de l’échantillonnage d’autres musiques, faisant preuve d’une grande ouverture d’esprit.
Il perçoit son parcours dans le rap français des années 90, comme une « énergie adolescente ». Aujourd’hui, plus mature, son rap s’est enrichi, diversifié et, surtout, est sorti de son ghetto banlieusard. Le rêve est devenu réalité : « la difficulté des conditions de vie de notre enfance nous a rendu célèbres. Alors oui accepter de vendre des disques mais jamais de se vendre. »
La vie courante est sa source d’inspiration. Il écrit ses albums très vite car il tient à garder la spontanéité des mots qui mènent à l’émotion. C’est en partant de la musique que lui viennent ses chansons. Au contraire, pour écrire un livre, notre rappeur prend plus de temps pour écrire, s’arrêter puis revenir au texte… Il n’écrit pas ce que les gens ont envie de lire, il écrit d’abord pour lui ! Il affirme que « la musique est plus tournée vers l’émotion et la littérature est plus intellectuelle ».
Mon modèle absolu est Jacques Brel pour la musique et en littérature, Albert Camus.
Gibraltar, son album qui l’a fait connaître au grand public, est un tournant majeur de sa carrière, voire un concept : « j’avais envie de déconstruire la notion même de rap tout en restant hip hop ! Je voulais dépasser les cases ». Son chant est devenu déclamation afin de mettre en valeur le sens des mots. « Dans toutes les cultures, le verbe est central, c’est la manière de raconter les histoires qui change ». Et l’album est sorti au moment de l’arrivée du slam en France ce qui fait qu’il a été catalogué comme un artiste slam mais lui fait fi des étiquettes.
Il confie ensuite qu’Abd Al Malik c’est un ensemble de personnes qui font Abd Al Malik. Une trentaine d’amis d’enfance issus de son quartier travaillent avec lui. Et l’adaptation au cinéma de son premier ouvrage ? Il est d’en train d’écrire le scénario et a convaincu les producteurs de tourner le film dans son quartier à Strasbourg avec des acteurs et une équipe locale.
Sa démarche artistique doit rester authentique et notre rappeur se pose la question si son prochain disque ne serait pas le dernier car il ne veut pas s’imiter, ne continuer que si cela fait sens. Ce disque sera inspiré par l’œuvre d’Albert Camus et le final a été enregistré avec un orchestre symphonique de quatre-vingt musiciens.
C’est avec enthousiasme qu’Abd Al Malik a participé à la rencontre de début de soirée animée par Jean-Antoine Loiseau. Rêveur, utopiste, peut-être, sauf qu’en s’appuyant sur sa propre expérience, il en a eu des exemples positifs à nous donner. Abd Al Malik fait figure de vieux sage, souriant, les bras ouverts, se prêtant patiemment au jeu des dédicaces et des photos.
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